mardi 8 mars 2011

La sincérité*, cette disposition à reconnaître et à dire la vérité sans chercher à se tromper soi-même ni à tromper les autres ...

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* sincérité : Qualité de celui ou celle qui dit la pure vérité, qui ne cherche pas à tromper, qui parle ou qui est sans artifice, sans déguisement .

" La sincérité est une ouverture de coeur qui nous montre tels que nous sommes ; c'est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ces défauts et de les diminuer même par le mérite de les avouer " . La Rochefoucauld

" Il est bien adroit d'être sincère : en avouant ses fautes, on se donne un mérite qui les rachète, une bonne grâce qui les fait tolérer, comme, en avouant ses torts, on s'inflige une humiliation peu sensible qui expie la faute, honore le coupable et flatte l'offensé " Sully Prud'homme



Préambule de ce merveilleux ouvrage de Elsa Godart publié aux éditions Larousse en 2008 [ 17 euros] : La Sincérité, ce que l'on dit, ce que l'on est , que " Gerboise " et " Esiobreg ", sa petite soeur vous recommandent, toutes les deux, de lire et d'approfondir . Cette sorte d'avant-propos de l'auteur : ce préambule [ est ce qui se dit ou s'écrit avant de commencer quelque chose ] , est d'une richesse d'idées extraordinaire ; il est exprimé dans un français exemplaire dont vous pourrez vous imprégner .

Voici ce texte :

"" « Pour être sincère, il faut cesser de l'être » . Cette affirmation du philosophe Vladimir Jankélévitch annonce d'emblée ce qu'est la sincérité : un paradoxe ( proposition contraire à l'opinion commune , couramment admise et qui choque les idées reçues) .

Nous portons tous en nous une exigence de sincérité sans toutefois parvenir à la réaliser . La question de la sincérité se pose dans nombre domaines : dans nos relations avec les autres et avec nous-mêmes, dans notre usage du langage ; elle soulève un problème de morale, elle engage notre volonté et elle détermine notre rapport avec le mensonge .

Suis-je sincère ?
Comment l'être ?
Faut-il l'être ?

Autant d'interrogations que nous nous sommes déjà faites et auxquelles il n'est pas facile de répondre . C'est en cela que le thème de la sincérité intrigue et intéresse .

Il me semble que notre époque se trouve confrontée à des bouleversements éthiques et existentiels sans précédent . Par exemple, il est communément admis que les valeurs familiales, morales et religieuses tendent à se disloquer ou, du moins, se transforment fortement .

Je constate que ces changement de repères ont, entre autres, aux conséquences le fait que les psys (psychologues) n'ont jamais été autant consultés : cela révèle notre difficulté à être sincère envers nous-mêmes et envers les autres, manifeste notre besoin vital d'être sincère et, surtout, indique combien la sincérité ne va pas de soi . C'est parce qu'être sincère n'a rien d'évident qu' il est à ce point intéressant de s'interroger aujourd'hui sur la valeur de la sincérité : en perçant son mystère, peut-être parviendrons-nous à résoudre une partie de nos problèmes existentiels .


N'avez-vous jamais fait ce constat paradoxal propre à notre monde contemporain où tout est en mouvement : alors que les moyens de transports permettent de se déplacer et de se rapprocher de plus en plus vite, que les outils de communication [ Internet, le téléphone portable, la télévision par satellite, etc. ] divise le temps et abolissent les distances, j'ai l'impression que nous nous éloignons de plus en plus les uns des autres : indifférents que nous sommes devenus aux autres, nous nous sentons aussi de plus en plus seuls .

J'observe que notre société en modifiant peu à peu ses valeurs les plus essentielles a surtout perdu du sens . N'arrivant plus à générer du lien avec les autres, isolés, égarés, nous voilà rendus incapable de sincérité .

Ce phénomène s'accompagne d'un profond sentiment de frustration engendrée par la complexité à être soi-même, d'une réelle difficulté à être reconnu, à s'imposer dans le monde et à se faire entendre . Preuve en est l'explosion des ventes d'ouvrages sur le bien-être et le développement personnel . Le besoin de prendre soin de soi est réel et il oblige à se poser la question de savoir qui l'on est et, bien plus, de pouvoir le dire .

Car, s'il est certain que l'on a trouvé des moyens efficaces pour parvenir à dire, en revanche, une incapacité majeure persiste : notre impuissance à se dire . Et c'est là peut-être le nouveau défi aujourd'hui : arriver à lever le voile opaque et insincères de l'être .

En ce sens, percer l'énigme du se dire, c'est déterminer en quoi cela correspond à un besoin propre de notre temps essaie ainsi poser, en toute sincérité si j'ose dire, précisément la question de la sincérité .

Plus que jamais, l'Occident semble porter en lui le souci de la sincérité, parce que notre époque est malade du dire . Il semblerait que l'individualisme qui caractérise notre société occidentale atteint ses limites quand il est finalement un si grand obstacle à ce que l'individu se sente reconnu par les autres .

Dans nos relations sociales, nous nous retenons d'exprimer nos véritables émotions, non ressenties et, souvent, de dire ce que l'on pense vraiment . Ce défaut de sincérité s'avère nuisible, car à force de jouer un rôle, l'individu fini par ne plus savoir qui il est, il ne se reconnaît plus . Or l'absence de sincérité devient source de troubles : nombre de souffrances psychiques sont causées par la difficulté de se dire, de se raconter ou de parler de soi . Aussi,n' est-il pas étonnant d'observer la vogue des différentes psychothérapies auxquelles on a de plus en plus recours . Par exemple, avec la psychanalyse, thérapie qui naît au début du XXe siècle et qui repose essentiellement sur la parole, c'est donc désormais par le langage que passe la libération de certaines névroses et des douleurs à vivre le psychanalyste français Jacques Lacan définit l'homme comme un «parlêtre », et soutient même que « l'inconscient est structuré comme un langage », ainsi, tout en l'homme semble pouvoir se réduire au langage .

Toutefois, le besoin de sincérité ne se fait pas sentir seulement au niveau psychologique ou relationnel, son importance est primordiale en ce qui concerne également nos valeurs - tant humaines que sociétales . En effet, la sincérité étant avant tout une véritable force d'âme, « elle est, comme la vertu du commencement, vertu majeure » : on ne saurait s'en passer . Il est nécessaire à tout être humain d'atteindre ou au moins de tendre à une vérité qui lui soit propre : la sienne . Comme le recommande Socrate en contemplant le temple d'Apollon à Delphes : « connais-toi toi-même » . Maxime qui confirme combien la quête de soi doit être le dessein d'une vie, et qu'on ne peut pas s'y dérober . Pourtant cette recherche, cette quête vertueuse, semble faire défaut aujourd'hui .
Plus que jamais, la question de la sincérité est d'actualité .

Mais qu'entend-on par sincérité ? La sincérité se comprend de multiples façons et recouvre plusieurs sens . Le terme est souvent employé à tort et à travers mais toujours étroitement lié avec le dire : la sincérité est le fait de dire avec franchise et en toute bonne foi ; dire avec sincérité attribue une qualité morale à la personne qui dit ; la sincérité implique aussi le fait d'être disposé à faire connaître ce que l'on pense et ce que l'on ressent, à dire et à reconnaître la vérité .

Et la sincérité est-elle synonyme de vérité ? Et est-ce à dire qu'elle est l'opposé du mensonge ?

Pour Vladimir Jankélévitch, il y a « trois sortes de sincérité :

-L'accord de la pensée du propos [ou de la pensée et de l'acte] ,
-l'accord de l'acte et du propos,
-l'accord de la pensée avec soi »

Ainsi y aurait-il trois manières d'être sincère :

- Par la conformité de la parole et de la pensée ;
- par la conformité de la parole et de l'action ;
- et par la fidélité à soi-même .

C'est dire que la sincérité est essentiellement cette vertu qui tente de percer le mystère de soi .
En essayant de comprendre ce qu'est la sincérité, on expérimente donc ce qu'il y a de plus soi en soi .

Voilà pourquoi, après plusieurs années d'études sur ce sujet, je souhaite partager avec vous, à travers cet ouvrage, mes recherches . Selon moi, la sincérité mérite sa place de pilier de la pensée philosophique . Parce que la sincérité, ainsi que je l'ai esquissée, n'est autre que la voie de la connaissance de soi : s'appliquer à être sincère,

c'est chercher à savoir qui l'on est .

La philosophie emprunte le même chemin puisqu'elle ambitionne, elle aussi, d'accéder à cette connaissance de nous-même et du monde . C'est dans ce sens que l'on peut d'ores et déjà lier philosophie et sincérité .

Mais une réflexion sur la sincérité va bien plus loin encore .


Car si la sincérité est à associer à la connaissance de soi, alors on va très vite aborder une autre question, ô combien essentielle ! : Celle de notre bonheur .

En effet, est-il possible de prétendre à une quelconque forme de bonheur quand on ignore qui l'on est et ce que l'on veut véritablement ? Tenter de répondre à cette question suppose de chercher à être sincère et donc de se connaître ; c'est, d'une certaine manière, dessiner une image de son bonheur . Il est certain que si je ne connaissais pas, je ne peux prétendre à cet équilibre de vie nécessaire à mon bien-être .


Dès lors, la sincérité, ce n'est pas seulement le fait de dire des paroles justes ou encore d'être franc, ce n'est pas non plus uniquement le fait d'adopter une attitude morale .


La sincérité « se fout de la morale » , tout comme le menteur peut être sincère [un paradoxe de plus !) . La sincérité engage ce que nous sommes et notre vie bien plus qu'on ne saurait l' imaginer d'emblée .


Ce livre a pour ambition de faire découvrir ce qu'est la sincérité dans toute la profondeur et la complexité qui la caractérise . Pour ce faire, j'alternerai passages didactiques et réflexions plus légères, car le paradoxe de la sincérité est d'être tout à la fois au centre de notre quotidien ainsi qu'au coeur d'une pensée théorique . Avec cette démarche, j'espère engager avec vous un véritable échange de pensées , et ce dans la perspective de philosopher ensemble la sincérité .


Dans la première partie de cet ouvrage, j'ai imaginé de mettre en scène un dialogue fictif entre différents philosophes qui ont réfléchi sur le sujet . De la sorte nous serons, au fil des répliques qui sont, souvent, des citations extraites de leurs oeuvres, nourris par les propos riches et divers des auteurs convoqués et en même temps, plongés dans un contexte que je souhaite divertissant .


J'ai inscrit cette confrontation de pensées dans une situation très académique, celle d'une soutenance de thèse . L'intérêt d'une telle mise en scène sera d'identifier différents niveaux de sincérité : tant à propos du contenu des discussions qu'au regard du contexte .




La deuxième partie proposera neuf pistes de réflexion sur la question de la sincérité . Afin d'en éclairer le sens, j'ai ainsi d'abord interrogé le rapport de la sincérité avec des termes proches tels que ceux de véracité, de franchise, de simplicité, de pureté ou à l'inverse d'insincérité et de mensonge… Suivront des analyses qui nous permettront, en les confrontant, d'appréhender concrètement la sincérité dans l'art ou encore la sincérité en politique . Ici, nous verrons comment une philosophie de la sincérité est aussi une pensée de nos rapports à l'art et au politique .

Notre parcours s'achèvera sur un récit auquel je tiens particulièrement : histoire de l'Etre- sincère qui est celle d'un monde différent, celui de l'en- deçà ( rester en deçà de... :ne pas l'atteindre) - le monde métaphysique (ce terme vaste et polysémique, avec de nombreux sens, désigne d'une manière générale la science de « l' être en tant qu' être , mais aussi ce qui dépasse le domaine de l'expérience ou du visible . Là encore, ce mot a eu de nombreuses définitions selon les époques et les courants de pensée) . J'ai créé le terme d'Etre sincère afin de montrer à quel point la sincérité peut s'avérer fondamentale, tant dans le domaine de la pensée philosophique que dans notre vie quotidienne .

Dans cet ouvrage, j'ai choisi de poser aussi bien les questions les plus concrètes que les plus abstraites au sujet de la sincérité .


J'ai tenté de réaliser un véritable parcours initiatique au terme duquel, je l'espère, la sincérité sera comprise avant tout comme un lien . Un lien entre soi et soi-même, et aussi un lien entre soi et les autres . C'est pour cela qu'il est nécessaire de philosopher la sincérité . Parce qu'elle est un moyen de redonner du sens à nos relations avec les autres . Parce qu'il me semble urgent de combler, se ressent ( ressentir) au coeur des débats politiques, où tout ne serait que mensonge et insécurité ; au coeur des relations sociales, où tout ne serait que masque et représentation ; au coeur des relations affectives, la famille étant le premier lieu des non-dits ; au coeur de soi, que l'on fuirait par crainte de ne plus arriver à se reconnaître ... Il est temps désormais de plonger en soi-même et de partir à la rencontre de la sincérité car, comme l'écrit Jean-Jacques Rousseau dans Mon portrait : " Il ne faut pas corriger les hommes de parler sincèrement d'eux-mêmes ""



[ voir également les réflexions de Montaigne dans l'ensemble de ces " Essais " : Conseils au Lecteur ... ] .

Bonne lecture .

Fidèlement vôtre, Esiobreg .

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